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Le fantôme du château


  C. Pierillas : reproduction interdite



Aymeric IV était vicomte de Rochechouart et c’était en l’année 1090 environ. La vicomtesse Marguerite venait de mourir, pleine de jeunesse, et le vicomte et le château étaient inconsolables et dans la plus profonde tristesse.
Marie, la servante dévouée de la défunte, ne cessait de verser des larmes et le sommeil avait abandonné son chevet.
Pendant une nuit de printemps, Marie veillait à sa fenêtre et pensait à sa regrettée maîtresse, lorsque, tout à coup, elle aperçut se promenant dans la cour, un fantôme recouvert d’un linceul blanc.
“C’est Madame” s’écria-t-elle, “c’est sa taille, sa démarche, elle vient demander des prières !”, et les sanglots l’étranglèrent.
Les nuits suivantes, la même vision apparut, précédée du bruit que font les grandes portes qui s’ouvrent, puis se dirigea vers la chapelle pour prier. Parfois l’ombre sanglotait, puis quittait la chapelle et se dirigeait vers le parterre et arrosait les fleurs.
Marie crut devoir en prévenir le vicomte. Mais celui-ci ne voulut rien croire et la traita de folle. La malheureuse fille qui avait bien vu, fit les mêmes confidences à Jeanne, sa compagne, et à quelques-uns des valets. Tous virent distinctement le fantôme et, effrayés, ils firent une nouvelle démarche auprès du vicomte.
Cette fois leurs voix furent entendues, l’aumônier du château fut prévenu et on commença une neuvaine. Malgré les prières de tous les habitants du manoir, la vision apparaissait tous les soirs, faisait sa tournée habituelle, puis grimpait après le mur, se cramponnait aux treillages et montait sur les toits, puis était perdue de vue. Ce phénomène restait toujours inexplicable, et personne n’osait s’approcher du revenant.
Mais un matin, l’échanson vint trouver le seigneur et lui annonça que depuis quelque temps le vin disparaissait à la cave et que jamais il n’avait pu découvrir le coupable. On continua la surveillance et les recherches de l’échanson, sans aucun résultat. Le vin ne cessait de disparaître et la dame venait chaque soir faire sa promenade habituelle à la chapelle, au parterre et sur les toits.
Le vicomte et sa maison sont troublés, ils adressent au ciel de ferventes prières, ils font dire des messes pour le repos de l’âme de la vicomtesse, mais rien n’y fait. Tout le château est en émoi, on convoque des hommes d’armes pendant plusieurs nuits jusqu’à l’aurore, mais tous saisis de frayeur se prosternent à terre et se contentent de prier, n’osant pas approcher du fantôme. Ainsi continuaient les veillées plus infructueuses les unes que les autres.
Enfin, un soir, un soldat plus téméraire que ses compagnons se précipite sur le fantôme, l’entraîne dans la grande salle et le dépouille de son linceul. La désillusion fut grande, la bonne dame avait disparu, il ne restait plus que l’écuyer de paneterie. Beaucoup des spectateurs éclatèrent de rire, mais le vicomte rentra dans une grande colère, en constatant que cet écuyer était un voleur. Mais le malheureux jeune homme restait toujours sans connaissance, il agita ses bras, renversa les soldats sur son passage et disparut.
Le lendemain, le seigneur fit appeler son écuyer et lui adressa de violents reproches. En même temps il fit prévenir sa famille, mais l’écuyer protesta de son innocence, ignorant le crime dont il était accusé. Bientôt la vérité éclata, et, grâce aux renseignements donnés par le père de l’écuyer, il fut reconnu que ce malheureux était somnambule.
Chaque soir, inconsciemment, il faisait le même voyage, prenait des pots de vin dans la cave et les transportait dans un enfoncement de la muraille où ils furent retrouvés, comme il les y avait déposés.
Le vicomte pardonna facilement et le calme revint au château et particulièrement dans la chambre de la jeune servante, qui avait si bien cru pourtant reconnaître sa bonne maîtresse, la vicomtesse Marguerite.