Monsieur,
Je vous envoie cette photo me représentant. Cette photo a été prise entre le 6 et le 10 juin 1944.
Née au mois de novembre 1939, javais donc quatre ans et sept mois. Vu les circonstances exceptionnelles de cette période tourmentée, il me reste toutefois des souvenirs incomplets mais malgré tout très précis relatifs à cette photo, et ce malgré mon jeune âge.
Jhabitais chez ma tante et ma grand-mère le village de Labrousse à la sortie de Rochechouart sur la route de Saint-Junien. En ces temps de guerre, nous manquions de tout : nourriture, chaussures, tissu ....
La robe que je porte avait été tricotée par ma tante en laine de pays. Cette laine, très brute, nous grattait la peau, et jen garde aujourdhui encore, la désagréable sensation.
Le débarquement en Normandie avait eu lieu le 6 juin 1944 et même à Labrousse la nouvelle avait été rapidement connue par des tracts tombés du ciel ma-t-on expliqué plus tard. Hélas, ils nont pas été conservés.....
Ma tante ne mesurait sans doute absolument pas la distance séparant les plages de Normandie de notre petit village limousin. Vous comprendrez par la suite pourquoi !
Elle sempressa donc de broder le jour même sur la robe, la magnifique Croix de Lorraine que jarbore sur la photo.
Le lendemain, pour mémoriser ce moment historique, elle me conduisit à Rochechouart chez M. Fages, le photographe, qui officiait rue Porte-Béraud.
Je nai aucun souvenir de laller. En revanche, je me souviens fort bien de la séance photographique, M. Fages voulant me faire prendre une position avantageuse, en loccurence la position de ma main quil voulait gracieuse et qui se solda par un échec. Il insista tellement, quil provoqua la mauvaise humeur qui se lit sur mon visage. Il faut dire que javais un caractère très affirmé !
Le souvenir du retour à la maison est occulté jusquà notre arrivée à la Croix de Labrousse. Au bas de la côte, venant de Saint-Junien, apparurent des véhicules militaires. Ma tante sarrêta net, me disant : Bernadette, ce sont les américains ! Tu vas leur envoyer des baisers...".
Mais, au fur et à mesure que le convoi approchait, le discours changea... Ce sont les allemands ! Ils vont nous tuer ! Mets tes mains sur ta Croix de Lorraine !. Elle menfila précipitamment ma petite veste, quelle avait heureusement emportée pour notre périple. Surtout, tiens ta veste bien fermée, et tu ne les regardes pas !.
Je crois dans mon souvenir les avoir quand même regardés et même leur avoir envoyé un baiser ! Nous venions de croiser une partie de la colonne SS qui sinstalla quelques jours à Rochechouart où ils devaient commettre des méfaits durant leur court séjour.
Nous venions davoir une chance phénoménale, car notre sort aurait été vite réglé !
Pour la suite, tout sefface de ma mémoire. Jai le souvenir de me retrouver chez mes parents, dans une ferme isolée au milieu des champs et des bois, sur la commune de Chéronnac. Je nai aucun souvenir des moyens de transport empruntés par ma grand-mère et moi-même, pour y parvenir avec lespoir de me mettre en sûreté. Je ne peux préciser le moment où ce déménagement eut lieu, mais je pense quil se situe tout de suite après le massacre dOradour-sur-Glane car jai le souvenir confus de la panique qui sempara des villageois de Labrousse lorsquils apprirent la nouvelle.
Je ne remis jamais la robe. Une fois la guerre achevée, un an plus tard, elle était devenue trop petite....Ma tante la détricota ! Il me reste en revanche cette photo et ces souvenirs...
En septembre 1944, je revins au bercail et là, je me souviens très bien du jour où ma tante me dit : Demain, nous allons à Oradour-sur-Glane (un car avait été organisé à partir de Rochechouart). Tu viens avec moi. Comme ça tu noublieras jamais ce quest une guerre !
Effectivement, je nai jamais oublié. Il faisait très chaud ce jour-là à Oradour. Je ressens encore avec effroi ce que découvrirent mes yeux denfant : les cris, les pleurs dune femme, hagarde et folle de douleur dans les ruines de léglise. Il sagissait sans-doute de la seule femme rescapée du massacre.
Il y avait là un ossuaire qui ajoutait à ma terreur. Partout des ruines, des cendres....ce puits où me disait-on, des hommes avaient été ensevelis...enfin toute cette horreur...car lOradour de septembre 1944 était bien plus lugubre et parlant que lOradour daujourdhui ! Mon esprit et ma sensibilité de petite fille en ont gardé le souvenir terrible qui me hante encore 70 ans après.
Sur la petite place, à proximité du puits, une toile avait été dressée. Comme je lai déjà dit, il faisait très chaud ce jour-là. Javais soif... Ma tante macheta un soda (sorte de boisson gazeuse à lorange, de très mauvaise qualité). Je le vomis dès que je leus absorbé...Je nai jamais pu de ma vie boire à nouveau une boisson gazeuse à lorange. Celà mévoque à chaque fois limage de cette place dOradour où jai perdu avant lheure, mon âme denfant.
Voilà mes souvenirs qui vous intéresserons peut-être.
Merci à vous de faire vivre la mémoire de notre Limousin dans ce quelle a de pire et de meilleur.
Bernadette Rampnoux, le 22 janvier 2015.
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