Discours de M. Desbordes, maire de Rochechouart et président du comité du monument :
Au moment où sachève lappel hélas trop long de nos morts glorieux, le maire de la commune de Rochechouart croit être en parfaite harmonie avec leurs sentiments en remerciant tous ceux qui sont venus ici pour les honorer et en adressant tout dabord, lexpression de sa vive et profonde gratitude à M. le sénateur Mazurier, qui a abandonné des occupations pressantes, sest imposé la fatigue dun voyage pénible et dune solennité pleine de poignantes émotions, pour venir présider notre manifestation de respectueux hommage envers nos glorieux morts.
Dans sa pensée reconnaissante, il lui associe naturellement M. le sénateur Trouvé qui devait laccompagner et qui en a été empêché par une grave indisposition très probablement contractée sur la tombe à peine refermée de son regretté collègue, M. Codet, à qui il adressait au milieu dune épouvantable tempête un éloquent et suprême adieu auquel nous nous associons de tout coeur.
La même expression de remerciements va à tous ceux qui ayant désiré nous assister en ce pieux devoir et ne layant pas pu en ont marqué du regret et nous ont délégué des représentants aussi autorisés que M. le sous-préfet et M. le commandant Dégremont.
Le maire de Rochechouart na garde doublier toutes les autorités locales et les divers corps constitués qui, ayant davance leur place marquée en cette cérémonie, ont bien voulu en rehausser la portée par leur bienveillante présence.
Il sait un gré particulier aux personnalités marquantes, qui comme M. le général Quincy et M. Levesque, inspecteur général des Ponts et Chaussées, Rochechouartais par le coeur, par leurs alliances et par lintérêt quils nous portent, se sont spontanément joints à nous en cette patriotique solennité.
Il a lagréable devoir de féliciter la population Rochechouartaise toute entière pour le respectueux empressement quelle a mis à se grouper au pied de ce monument en un geste quasi universel de pieuse reconnaissance envers nos morts glorieux.
Tous ceux qui nous entourent sont particulièrement qualifiés pour partager notre émotion, communier dans nos sentiments, revivre avec nous les moments terribles qui nous ont coûté si cher et quils connaissent si bien pour y avoir été mêlés à des titres divers importants et trop souvent douloureux.
Ils ne pourront sans doute, pas plus que nous, se défendre dévoquer en un rapide et tragique raccourci les terribles évènements dalors.
Lagression brutale, longuement méditée, minutieusement préparée contre la France, qui toute à son idéal de paix, à son culte pour la justice et au respect des traités, ne peut se résoudre à croire possible un aussi abominable forfait.
Les déchirantes séparations, les départs vers la frontière déjà envahie, bien que reculée par extrême modération, les premiers engagements, les sanglants combats où la disproportion du nombre et du matériel se font péniblement sentir, labsence de nouvelles des êtres très chers, langoisse poignante et trop souvent hélas ! la terrifiante nouvelle du deuil redouté, devenu affreuse réalité.
Les vaillants combattants que jai en face de moi nous rediront combien ceux qui étaient là-bas, soutenus par lenthousiasme du devoir bien rempli savaient comprendre les peines des pauvres parents angoissés, et comme ils sentaient bien que sils enduraient de terribles souffrances physiques, vous supportiez des souffrances morales plus terribles encore, vous tous qui aviez là-bas au champ du sacrifice vos êtres les plus chers.
Combien dentre eux ne sont pas revenus !
Nous voudrions à votre douleur immense, oh ! parents trop cruellement éprouvés, apporter quelque réconfort en vous disant leur vaillance, leur dédain superbe du terrible danger, leur héroïsme tour à tour calme et fougueux.
Mais il sera plus sage de ne pas entreprendre une tâche aussi gigantesque et de laisser vos imaginations guidées par vos coeurs, rêver tout ce qui peut se concevoir de plus grandiose, vous assurant simplement que, quelle que soit la sublimité de vos rêves, vous ne pourrez égaler linaccessible vérité de leurs hautes et précieuses qualités.
Chaque jour vous apportait un nouveau deuil. Cependant la décision tardait.
Mais voici quau moment où la victoire semblait séloigner irrémédiablement, en quelques jours les évènements sont renversés, les faits se précipitent, la nation coupable ayant dressé contre elle tout ce que lunivers avait dindignation et ligué contre son ambition tout ce que le monde civilisé comptait de peuples appréciant le Beau, le Grand et le Juste, doit savouer vaincue en cette inoubliable journée du 11 novembre 1918, où laffreux cauchemar prenait fin.
Le cauchemar sans-doute, les préoccupations non pas.
Aucune ne fut plus vive pour nous que le souci dhonorer dignement ceux qui, par leur suprême sacrifice, nous procuraient cet indicible bonheur.
Nulle forme ne nous semblait assez grandiose et assez pure pour perpétuer le souvenir de tant de sublimité.
Linspiration supérieure dun artiste au talent déjà affirmé dans maints monuments de même nature et en particulier celui, très beau, de Joinville-le-Pont, confirmé davantage depuis en un tout autre genre, le buste de Ronsard, devait nous apporter un secours tutélaire.
Avec une admirable maîtrise, M. Delpérier a su choisir parmi les sentiments qui se heurtaient en foule à nos esprits et à nos coeurs, deux données primordiales :
La paix par la victoire.
Le prix effrayant que nous a coûté cet inestimable bienfait.
Nous conserverons jalousement ce souvenir matériel des grandes choses passées, et aux heures graves, au pied de ce monument, nous viendrons nous recueillir.
Dans lattitude modeste et digne de cette France récompensant ses défenseurs, nous saurons trouver des inspirations de modération, de mesure, de calme, de bonté.
Nous nous souviendrons que la véritable bonté est lapanage des forts, tout comme largesse est le lot des faibles.
Attentifs à découvrir les mérites, nous nous efforcerons de les récompenser comme cette France récompense en son geste simple et généreux tous ses défenseurs.
Ceux trop rares revenus indemnes, ayant surmonté les pires fatigues.
Ceux, trop nombreux hélas, qui atteints en leur chair douloureuse, ont héroïquement supporté les pires souffrances.
Ceux enfin qui sont restés là-bas aux champs de gloire et de devoir.
Réfugiée au milieu deux, cette pauvre mère recueillie, prosternée, écrasée de douleur, pleure.
Nous saurons comprendre toute la douleur et toute léloquence de la prière que cette mère désolée semble adresser aux générations futures. Sa prière est tout à fait conforme à nos sentiments à tous.
Oh ! oui, dans lavenir tout sera fait, plus longuement prévu et mieux organisé que par le passé pour éviter le retour dun pareil fléau.
Il ne nous appartient pas de rechercher ici les moyens les meilleurs pour atteindre ce précieux résultat.
Dès avant la guerre, la France et ses alliés se trouvaient bien dans la voie qui semblait être la bonne en proposant à La Haye larbitrage obligatoire que lAllemagne, déjà fixée en ses criminels desseins fit échouer.
Cette voie salutaire paraît heureusement reprise à Genève et nous pouvons espérer que lunion des peuples épris didéal de justice saura triompher de ceux qui sous des dehors trompeurs, cachent de noirs projets.
Larbitrage obligatoire, soutenu et sanctionné par une organisation mondiale capable de faire respecter ses décisions semble bien le meilleur moyen darrêter en ses coupables projets toute nation assez folle pour oser concevoir labominable forfait quest la guerre, surtout si davance, elle est assurée quelle sera au ban de lunivers et quelle aura en face delle le monde civilisé tout entier.
Laissons à ceux qui en ont la charge écrasante le soin de résoudre ces angoissants problèmes.
Étroitement groupés autour de ce monument, résultat du concours de tous, objet des soins empressés dun comité bien inspiré, à qui nous adressons lexpression de notre sincère gratitude, prêchons dexemple en restant unis et disciplinés derrière ceux qui ont la mission de nous administrer, tout comme ceux que nous honorons restèrent unis, groupés, disciplinés, derrière les chefs qui les menèrent au succès et nous rendirent cette précieuse conquête, notre but suprême : la Paix.
Ce faisant nous rendrons à nos sublimes héros un suprême hommage en réalisant lidéal qui les soutint en leurs luttes épiques : le bonheur sans cesse plus grand, la prospérité toujours plus complète de notre cher pays.
Discours de M. Germain Soury, Président de lUnion des Mutilés :
Aux enfants de notre commune tombés au hasard des batailles, à ces héros immortels, japporte aujourdhui, au nom de leurs camarades mutilés, anciens combattants, lhommage ému et sacré de notre admiration.
Nous vous pleurons, enfants de notre pays, vous dont les noms sont gravés aux faces de ce mausolée. Nous vous pleurons parce que nous vous aimions.
Vous qui êtes tombés, pour que nous puissions vivre. Vous qui par votre sacrifice avez fait la patrie plus grande. Vous avez voulu que notre France resta le pays de la liberté.
Pour perpétuer votre souvenir, vous qui nêtes plus, pour que vos enfants et les nôtres, vos veuves, vos parents et nous-mêmes, pour que les générations présentes et à venir gardent profondément le culte sacré qui vous est dû, il fallait une image matérielle et impérissable, il fallait quun monument exaltant votre gloire, sélevât à cette place.
Combattants, recueillons nous, saluons bien bas nos camarades tombés dans lintense fournaise, que leur souvenir reste gravé dans nos coeurs, comme sur cette pierre.
Que leur mort qui a gardé notre indépendance soit le profond scellement de notre union.
Enfin un temps viendra sans doute où les peuples auront compris que la vraie force dune nation doit être surtout une force de paix.
Nous ne voulons plus que nos enfants montent au sanglant calvaire.
Nous ne voulons plus que des mères, des pères, des veuves, des orphelins endeuillés pour toute leur vie, aient à pleurer suivant le caprice de la force brutale, et nous aspirons aux âges à venir, où il ne sagira plus de mourir, mais bien de vivre pour la patrie.
Ainsi sera réalisé le testament que vous nous avez confié.
Ce jour-là, nous pourrons travailler à lépanouissement de cette belle fleur, la France, qui sera pour nous lunique patrie de lumière et de rayonnante liberté.
Gloire à vous, camarades immortels.
|