Rochechouart, petite ville du Limousin de 2000 habitants, est une sous-préfecture. Cest là sa première originalité. Elle en a dautres. Et comme le dit une chanson sans aucune prétention littéraire :
Les Bordelais possèdent les Quinconces,
Les Toulousains de splendides bistros,
Mais Rochechouart a le tonneau dLéonce,
Son vieux clocher, son canon, son château.
Le tonneau dLéonce ? En voici lhistoire :
Un beau matin de septembre 1930, les Rochechouartais virent sélever dans leur cimetière de Beaumoussou, un échafaudage aux bizarres entretoises. Des ouvriers coulaient, en ciment, une boule de forme inattendue.
On interroge le propriétaire : "Cest-y que tu te sens pas bien, Léonce, et que tu penses mourir bientôt ? Qué que tu bâtis-là ?"
Mais Chabernaud, le marchand de vin, sen tirait toujours sans mot dire, en clignant un oeil malicieux. Les maçons, venus de lextérieur, eux-aussi se taisaient. La petite ville était anxieuse.
Et puis, un jour, ce fut dans Rochechouart comme un immense éclat de rire. Léonce Chabernaud avait fait édifier, en guise de mausolée, un wagon-foudre de cent hectolitres, scrupuleusement reconstitué, avec sa plate-forme, ses tampons, ses roues et le rail. À grands coups de pinceau, les peintres badigeonnèrent le cénotaphe de rouge, les cercles de noir et inscrivirent en guise dépitaphe, en grosses lettres, comme il se doit pour stimuler la réclame : Léonce Chabernaud, vins en gros, Rochechouart (Haute-Vienne).
Il nen fallut pas plus pour faire de Rochechouart un nouveau Clochemerle. Léonce Chabernaud, important marchand de vins de lendroit, vieux rabelaisien plein dhonneur, avait de fidèles amis qui se groupèrent autour de lui. Et la sous-préfecture se divisa en deux clans.
Les adversaires crièrent au scandale. Les deux journaux locaux semparèrent de lincident et...devinrent ennemis. Larchiprêtre, le dimanche en chaire, tonna contre cette immoralité.
Tous les soirs, au café de France, transformé en salle de rédaction, Léonce rédigeait au milieu de ses supporters, son article du lendemain. Il ironisait : Mon désir est de faire installer dans mon tonneau le téléphone, lélectricité et la T.S.F. pour quaprès ma mort, je ne sois pas tout à fait séparé du reste des vivants. Certains insinuent que je devrais y faire poser le chauffage central. À quoi bon ? De quoi a-t-on peur ? Que je meure de soif, le tonneau une fois vide ? Monté sur rails, mon wagon-foudre peut faire la navette de lexpéditeur au destinataire, et le chai nest pas loin...
Et pompeusement, il signait : Léonce Chabernaud, propriétaire du wagon-réservoir numéro 463 à Beaumoussou (embranchement particulier).
Il y eut même une inauguration. Léonce avait invité ses amis à aller arroser ça dans le cénotaphe lui-même. Ce fut un beau charrivari. La lutte entre les deux clans atteignit son paroxysme. On parla dans lautre clan de faire sauter lodieux monument à la dynamite. Chabernaud, incontinent, constitua une garde fidèle. Des deux côtés on menaçait den venir aux mains jusque dans le cimetière. Pour finir, le conseil municipal démissionna...
Peu à peu, le temps apaisa les passions. Le tonneau de Léonce, battu par les pluies, perdit de son agressivité. Les rouges et les noirs sestompèrent. Le monument prit une teinte grisâtre. Loeil shabitua. Mais, délaissant le clocher du 12ème siècle, le canon du 15ème et le château Renaissance, les touristes affluèrent au cimetière de Beaumoussou.
Les ans passèrent. Chabernaud vendit son commerce et se retira avec sa femme et ses neuf enfants à la campagne, près de Mouzon en Charente. Trois fois lan, il poussait jusquà Rochechouart vider un verre avec ses vieux camarades. Il ne repartait jamais sans aller faire un tour au cimetière et jeter un regard plein dorgueil sur son tonneau.
La guerre, Vichy : On lui ordonne de détruire son tombeau. Son tombeau ? Cen était trop! Léonce dut saliter.
Matois, il gagne du temps. La libération le sauve.
Aujourdhui, Chabernaud a 68 ans. Quand on lui parle de son tonneau, il répond en se tapant sur les cuisses : Il ma coûté 17000 francs. À lépoque, cétait un prix. Il est vrai quil est vaste et peut contenir quatorze places. Jai bien choisi son emplacement car, en bas du cimetière, cest trop marécageux et, comme chacun sait, je déteste leau. Aussi ai-je fait sceller dans mon caveau, plusieurs caisses de bonnes bouteilles. On les boira le jour de mes obsèques. Je ne voudrais pas quon dise : Il était triste, lenterrement de Léonce...
Reportage : VALIERE-FROMENTI
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