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Passage à niveau numéro 9 : souvenirs



Lettre du Ministre des Travaux Publics au Préfet de la Haute-Vienne concernant le projet de construction des “maisons de garde”

Les “P.N.”, passages à niveau destinés à assurer la sécurité aux intersections entre les différentes voies de communication et la ligne de chemin de fer, comprenaient une barrière amovible obligeant l’arrêt des véhicules lors du passage du train ainsi qu’une maisonnette hébergeant le (la) préposé(e) (et souvent sa famille) accrédité(e) par la compagnie pour assurer toutes les manoeuvres de sécurité en ce lieu.
Sur la ligne de chemin de fer entre Saillat et Bussière-Galant, 10 passages à niveau étaient prévus par la compagnie du P.O. (Paris-Orléans) sur le territoire de la commune de Rochechouart et sur le tronçon de la voie situé entre cette dernière ville et la station de St-Laurent - St-Auvent.
Les voici tels qu’ils étaient énumérés et décrits dans l’arrêté en date du 26 mai 1891 :
Commune de Rochechouart :
P.N. numéro 4 : “Chemin rural de Chausseilles à Vivienas”
P.N. numéro 5 : “Chemin de grande communication numéro 52”
P.N. numéro 6 : “Chemin d’exploitation des Vignes à Rochechouart”
P.N. numéro 7 : “Route départementale numéro 3 de Bellac à Nontron”
P.N. numéro 8 : “Chemin rural de servitude de La Grozille”
P.N. numéro 9 : “Chemin rural de servitude de La Royère”
P.N. numéro 10 : “Chemin de grande communication numéro 10 de Limoges à La Rochefoucauld”
P.N. numéro 11 : “Chemin d’exploitation des Bâtiments”
P.N. numéro 12 : “Chemin rural des Bordes à Saint-Junien”
Commune de Saint-Auvent :
P.N. numéro 13 : “chemin d’exploitation de Rouffias”

Les catégories de passage pour tous ces ouvrages étaient définies comme étant des barrières manoeuvrées à la main, avec portillons pour piétons. Une exception était prévue cependant pour le P.N. numéro 8 qui consistait en des barrières à bascule (avec portillons pour piétons), manoeuvrées à distance à partir du P.N. numéro 7.

Jacques Gourdon a passé son enfance dans l’une de ces maisonnettes de passage à niveau (le P.N. numéro 9 de “La Royère”) où sa mère occupait les fonctions de garde-barrière.
Il évoque pour nous avec émotion et nostalgie cette époque et ses souvenirs d’enfance profondément liés à la voie-ferrée et au passage du train, ainsi que le contenu des recherches qu’il a effectuées à la suite de la fermeture définitive de la ligne....



Jacques Gourdon évoque ses souvenirs


Le P. N. 9, passage à niveau numéro 9 sur la ligne de chemin de fer Rochechouart - Bussière-Galant au lieu-dit “La barrière de La Royère” devenu par la suite “La Petite Royère” puis la rue du Chemin de Fer.

L’historique du P.N. 9 remonte à la Révolution, époque où l’une des plus importantes ressources industrielles de la Haute-Vienne résidait dans la fabrication du fer.
Au cours de la décennie révolutionnaire (États Généraux du 5 mai 1789 - coup d’état du 18 Brumaire par Napoléon Bonaparte, le 9 novembre 1799), le nombre d’établissements sidérurgiques ne connut pas de variation.
En 1801, le département possédait quatre hauts fourneaux et vingt-sept forges dont seize dans l’arrondissement de Rochechouart et onze dans celui de Saint-Yrieix.
L’entreprise que possédait M. Jude à “La Rivière”, commune de Champagnac, apparaissait comme l’une des plus intéressantes aussi bien par le nombre d’employés que par la quantité de fer produit. Du haut fourneau construit en 1798, sortaient annuellement 200 tonnes de fonte qui nécessitaient 500 tonnes de minerai provenant de la Dordogne et de la Charente, 210 tonnes de charbon de bois obtenues à partir des forêts voisines et 120 tonnes de castine prises à une vingtaine de kilomètres (la castine est une pierre calcaire utilisée comme fondant et épurateur pour le minerai de fer).
Six personnes s’activaient à le faire fonctionner ce haut fourneau. Le produit de ses coulées alimentait trois forges : la Forge Haute, la Forge Basse et la Forge des Maudoux qui, au total, livraient 200 tonnes de fer et fonctionnaient avec une quinzaine d’ouvriers. Une partie de la production trouvait usage dans les environs.
L’entreprise de M. Jude à “La Rivière” rachetée par le groupe “De Wendel” nécessitait des moyens d’approvisionnement modernes et c’est ainsi qu’à la fin du XIXème siècle la décision fut prise de construire une voie ferrée.

LA COMPAGNIE DU P. O. DÉCIDE DE CONSTRUIRE LA LIGNE :

Des compagnies privées de transport ferroviaire existaient déjà depuis 1838 en France, comme celle du Paris-Orléans (P.O.) qui fut la réalisatrice de la première ligne créée à cette date dans notre pays.
Ces compagnies privées, Chemin de fer du Nord, de l’Est, du P.O., du P.L.M. (Paris-Lyon-Marseille) et enfin du Midi, assuraient seules la construction et l’exploitation de ces réseaux dont l’état leur avait donné la concession.
Par la suite, des regroupements de ces compagnies eurent lieu, au fil des années et, le 7 juillet 1879, fut votée par les députés, une loi portant création de 17 000 kilomètres de voies supplémentaires selon le plan Charles Louis Freycinet, Président du Conseil et ingénieur des mines, contemporain de Jules Ferry, et l’un des ses plus fidèles soutiens.
C’est à cette époque que fut décidée la construction de la ligne à voie unique, Bussière-Galant-Gare à Saillat-Chassenon, par la compagnie du P.O..
Cette ligne s’articulait avec la ligne P.O. de Limoges à Périgueux à partir de la station de Bussière-Galant et l’autre ligne du P.O. reliant Limoges à Angoulême par Saint-Junien.
Elle passait par Châlus, Champsac, Champagnac la Rivière et son usine du Groupe “De Wendel”, Oradour-sur-Vayres, Saint-Laurent sur Gorre, Saint-Auvent - La Nouzille, Biennac, le P.N. 9 et Rochechouart.
Pendant la construction en 1789 et 1880, les travaux se firent sur des terrains vallonnés, de constitution instable et irrégulière, ce qui nécessita des efforts considérables. Il fallut créer d’énormes remblais par-ci, creuser de non moins formidables tranchées par là, sans compter des ponts où la ligne passait tantôt dessus, tantôt dessous. Et celà se faisait à bras d’hommes, à la pioche, à la pelle, avec la brouette et les tombereaux puisque les moyens modernes dont on dispose aujourd’hui n’existaient pas.
La ligne Bussière-Galant - Saillat-Chassenon, portant le numéro administratif d’exploitation 615, est ouverte officiellement à tous les trafics, le 31 Décembre 1880. Elle sera exploitée par la compagnie du P.O. jusqu’au 31 Décembre 1937.

LA LIGNE EST RÉGIE PAR LA S.N.C.F. :

Le 1er Janvier 1938, toutes les compagnies privées de France disparurent par nationalisation d'intérêt public et furent regroupées sous la dénomination nationale S.N.C.F., la Société Nationale des Chemins de fer Français.
Durant la grande période d’exploitation de la ligne, soit entre 1881 et 1938, il y avait trois trains par jour dans chaque sens, ce qui représentait 6 convois quotidiens. Le domaine agricole était le principal utilisateur pour le transport de marchandises, notamment pour les bestiaux qui partaient vers les centres de vente et d’abattage, vers les marchés des grands centres urbains.
Les voyageurs s’activaient trois fois par jour autour des trains et embarquaient avec leurs marchandises, volailles ébouriffées et jacassantes, légumes à destination des “gens de la ville”, de nombreux colis plus ou moins bien ficelés et souvent mal arrimés glissant dans les couloirs encombrés, dans une joyeuse effervescence de robes sombres à passementeries et de claquements de sabots de bois des paysans.
Le transport des animaux nécessita la construction de quais d’embarquement, pour un accès facilité vers les wagons à bestiaux qui stationnaient en permanence sur les lieux de chargement, à la disposition des négociants à bestiaux et des éleveurs.
Le commerce des traverses de chemin de fer devint rapidement très florissant, en suscitant un grand mouvement d’artisans et d’ouvriers, la hache à la main pour façonner les dites traverses avant leur examen par une commission d’experts chargés de les réceptionner avant leur utilisation.

LA BATAILLE DES “BORDES” :

Pendant la guerre la ligne connaît des évènements sanglants : ainsi, le 18 Juillet 1944, au petit matin, un mois et huit jours après le massacre d’Oradour sur Glane, un train allemand se dirige vers Saillat-Chassenon. Il est composé d’une locomotive qui pousse deux wagons devant elle et en tire deux autres à l’arrière (les wagons mis à l’avant sont destinés à être touchés les premiers, en lieu et place de la locomotive dans la perspective d’un sabotage).
Ces wagons sont blindés, huit cheminots français et une quinzaine d’hommes de l’armée allemande, armés de fusils-mitrailleurs et de mitrailleuses accompagnent le convoi, pour, renseignements pris, simplement faire parvenir la locomotive à Angoulême où ces machines manquaient cruellement.
Ayant eu connaissance du passage d’un train allemand, le maquis décide de déboulonner les voies dans la forêt de Rochechouart. Le matériel nécessaire est récupéré à la gare d’Oradour-sur-Vayres grâce à un chef de gare “complaisant”.
Deux rails sont déboulonnés près du village des “Bordes”. Le train arrive à vitesse très lente et, comme prévu, les deux rails déboulonnés s’écartent et le wagon de tête déraille et s’enchâsse dans le ballast.
Une fusillade éclate et le maquis manquant de munitions, décroche tout en suivant le train dans ses évolutions.
Les cheminots sont contraints de détacher le wagon déraillé et le train reflue vers “La-Nouzille” suivi par le maquis. Malgré des renforts, le maquis est attaqué par les allemands, entre “Puymoreau” et “La-Tronchaise”. Leur chef, Pierre-André Lachaise, 23 ans,originaire du “Breuil-de-Gorre”, près de Rochechouart, est tué.
Gênés par la présence de cheminots français, le maquis freine son action et le train revient vers Oradour-sur-Vayres.
Plusieurs autres convois de trains allemands circulant vers Bussière-Galant se sont arrêtés devant le P.N. 9. La présence du Pont de “La Royère” justifiait ces arrêts pendant lesquels, des estafettes allemandes allaient vérifier le pont par crainte d’explosifs qui auraient été placés par les maquisards, nombreux dans la contrée.
La garde-barrière en a été quitte pour de nombreuses frayeurs quand les allemands descendant du train arrêté patrouillaient autour de la maisonnette... Mais le jeune bambin de 18 mois que j’étais et qu’elle tenait dans ses bras n’en a aucune souvenance !

LE DESTIN :

Le trafic se ralentit, concurrencé par le tramway départemental, en 1912, par le développement de l’automobile et la mise en place de lignes d’autobus.
La S.N.C.F. décide la fermeture de la ligne Bussière-Galant - Saillat-Chassenon aux voyageurs, par arrêté du 29 Avril 1940. Cependant, cet arrêté ne sera mis en application que quelques années plus tard, pour motif d’utilité publique en raison de la guerre 1939-1945.
La ligne fut ensuite fermée au trafic marchandises entre Oradour-sur-Vayres et “La-Nouzille” le 5 Octobre 1952, puis entre “La-Nouzille” et Rochechouart, le 1er Juillet 1954.
Les parties de trafic conservées servirent à approvisionner l’usine de Champagnac-la-Rivière par Bussière-Galant et l’usine de papier carton ainsi que la poterie à Rochechouart par Saillat-Chassenon.
Le P.N. 9 restait donc désespérément ouvert ! Sur ce tronçon supprimé, Oradour-sur-Vayres - Rochechouart, le déclassement de la voie ferrée, du domaine public de l’État vers le domaine privé de la SNCF, fut prononcé par décret du 12 Novembre 1954, ce qui permit de faire passer l’emprise de la voie à la direction des domaines de la S.N.C.F. qui assura la vente des terrains aux communes ou aux riverains.
Les rails sont alors démontés, les traverses cédées aux riverains et le ballast composé de pierres de granit calibrées fut utilisé pour la construction de routes dans la région. La maisonnette du P.N. 9, se composant d’une cuisine et de trois chambres est achetée par ses occupants en 1954, et en l’occurrence, la garde-barrière, en poste depuis 1942, put continuer à s’y loger avec son mari (décédé le 23 Mai 2000) et ses quatre enfants.

LES SOUVENIRS :

Ce récit peut paraître anodin, mais il est lié à une famille qui a vécu dans cette “maisonnette”, du P.N. 9, avec pour tout éclairage, une lampe à pétrole (jusqu’en 1950), pour effectuer les tâches ménagères et les devoirs d’écolier.
Le passage à niveau, à son origine, servait pour le passage des vaches et des charrettes se rendant par le chemin de terre dans les prés et champs de part et d’autre de la ligne.
Le passage étroit, le “passe-pied” était utilisé si possible en dehors du passage des trains, pour se rendre à pied ou en vélo à Rochechouart et à l’école de Biennac, les chemins menant au P.N. 9 étant impraticables.
Les lourds convois tirés par d’énormes locomotives à vapeur ont écrasé de nombreuses poules effrayées cherchant à traverser ou ont tout simplement aplatis les pointes ou pièces de monnaie posées sur le rail, un jeu pour nous les enfants !
Les coups de sifflets stridents, lâchers de vapeur, pour un amical bonjour des machinistes, faisaient sursauter. Le spectaculaire panache de fumée blanche ou terriblement noire projetait des escarbilles que l’on recevait dans les yeux et mettaient parfois le feu dans les prés secs lors des étés terriblement chauds, où le puits du P.N. pas assez profond manquait d’eau.
La cloche qui par des tintements répétés, annonçait le départ du train de la gare précédente et l’obligation de fermer les barrières, était actionnée par le courant transporté par des fils téléphoniques maintenus par des isolateurs, “les tasses” en verre, sur des poteaux en bois. Ces fils servaient également aux P.T.T. pour acheminer leurs circuits téléphoniques de ville en ville.
Les chemins de terre sont devenus routes, la ligne promenade piétonne, l’électricité brille de ses milles feux, se transforme en images et chauffe en harmonie avec le soleil, l’eau froide ou chaude coule à la demande, le téléphone est devenu discret mais sonnait très souvent jusqu’au décès de la garde-barrière le 27 Décembre 2017 ! Nostalgie ? Progrès ?


    Jacques GOURDON -2018- (avec son autorisation)

La voiture familiale près du passage à niveau

À l’extrémité de la plate-forme ferroviaire désormais désaffectée, l’ancien passage à niveau numéro 9